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Meurtre au Manoir
Fiona Grace


"Extrêmement divertissant. Cet ouvrage a sa place de choix dans la bibliothèque de tout lecteur.rice  privilégiant les enquêtes savamment construites, les rebondissements et une trame captivante. Vous serez conquis. L'ouvrage idéal pour les froides journées d'hiver !"--Books and Movie Reviews, Roberto Mattos (Meurtre au Manoir)MEURTRE AU MANOIR (UN ROMAN POLICIER DE LACEY DOYLE - TOME 1) est le premier opus de la toute nouvelle série de romans policiers de Fiona Grace.Lacey Doyle, jeune divorcée de 39 ans, a grand besoin de changement. Elle décide de tout plaquer pour vivre son rêve d'enfant : elle démissionne, quitte New York et son horrible patronne, tire un trait sur sa vie citadine. Cap sur la pittoresque ville balnéaire de Wilfordshire en Angleterre, berceau des fabuleuses vacances de son enfance.Wilfordshire est telle que dans ses souvenirs avec son architecture intemporelle, ses rues pavées et sa nature luxuriante. C'est le coup de foudre— Lacey reste et réalise son rêve d'enfant : ouvrir une boutique d'antiquités.La vie de Lacey peut enfin commencer – jusqu'à ce que sa nouvelle et célèbre cliente soit retrouvée morte.Lacey est la dernière arrivée en ville, son nom est sur toutes les lèvres : elle va devoir se disculper.Lacey se retrouve aux prises avec un commerce à gérer, une voisine-ennemie, un séduisant pâtissier et un crime à résoudre – est-ce bien la vie dont rêvait Lacey?Le tome n ° 2 – LA MORT ET LE CHIEN – est déjà disponible en pré-commande !







MEURTRE AU MANOIR



(UN ROMAN POLICIER DE LACEY DOYLE – TOME 1)



FIONA GRACE


Fiona Grace



Fiona Grace est une jeune écrivaine, auteure de la série "LES ROMANS POLICIERS DE LACEY DOYLE" comprenant MEURTRE AU MANOIR (tome 1), LA MORT ET LE CHIEN (tome 2) et CRIME AU CAFÉ (tome 3). Fiona attend vos impressions avec impatience ! Rendez-vous sur www.fionagraceauthor.com (http://www.fionagraceauthor.com/) : recevez des livres électroniques gratuits, soyez au courant des dernières parutions, restons en contact !






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Copyright В© 2019 by Fiona Grace. Tous droits rГ©servГ©s. Sauf autorisation selon Copyright Act de 1976 des U.S.A., cette publication ne peut ГЄtre reproduite, distribuГ©e ou transmise par quelque moyen que ce soit, stockГ©e sur une base de donnГ©es ou stockage de donnГ©es sans permission prГ©alable de l'auteur. Cet ebook est destinГ© Г  un usage strictement personnel. Cet ebook ne peut ГЄtre vendu ou cГ©dГ© Г  des tiers. Vous souhaitez partager ce livre avec un tiers, nous vous remercions d'en acheter un exemplaire. Vous lisez ce livre sans l'avoir achetГ©, ce livre n'a pas Г©tГ© achetГ© pour votre propre utilisation, retournez-le et acheter votre propre exemplaire. Merci de respecter le dur labeur de cet auteur. Il s'agit d'une Е“uvre de fiction. Les noms, personnages, sociГ©tГ©s, organisations, lieux, Г©vГЁnements ou incidents sont issus de l'imagination de l'auteur et/ou utilisГ©s en tant que fiction. Toute ressemblance avec des personnes actuelles, vivantes ou dГ©cГ©dГ©es, serait pure coГЇncidence. Photo de couverture Copyright Helen Hotson, sous licence Shutterstock.com.


DU MГЉME AUTEUR



LES ROMANS POLICIERS DE LACEY DOYLE

MEURTRE AU MANOIR (Tome 1)

LA MORT ET LE CHIEN (Tome 2)

CRIME AU CAFÉ (Tome 3)


TABLE DES MATIERES



CHAPITRE UN (#ue6408f43-978e-56cb-9ff5-29a13751020d)

CHAPITRE DEUX (#u2778fb48-47e6-5dac-a344-74a4a1f4c826)

CHAPITRE TROIS (#ufd12e9a0-955e-58e0-b968-7b5babc1a5f3)

CHAPITRE QUATRE (#u8f4a8dbe-aa60-5443-875a-e457b3e88e33)

CHAPITRE CINQ (#u91aacb05-b149-5ede-b75a-a98cbc977ee4)

CHAPITRE SIX (#uf6007b16-d2c0-509e-afce-1101adb8da6a)

CHAPITRE SEPT (#ub915b3f2-efc5-516b-a933-5c0c40ad76b7)

CHAPITRE HUIT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE ONZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DOUZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TREIZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUATORZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUINZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE SEIZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-SEPT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-HUIT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-ET-UN (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-DEUX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-TROIS (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-QUATRE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-CINQ (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-SIX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-SEPT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-HUIT (#litres_trial_promo)

Г‰PILOGUE (#litres_trial_promo)




CHAPITRE UN


Par consentement mutuel.

VoilГ  ce qu'indiquait le jugement du divorce, en caractГЁres gras, noir sur blanc.

Par consentement mutuel.

Lacey soupira face au document. Un adolescent boutonneux à l'air blasé lui avait remis l'enveloppe kraft en main propre, telle une vulgaire pizza. Lacey avait immédiatement compris de quoi il retournait mais n'avait pas réagi sur l'instant. Ce n’est qu'une fois avachie sur son canapé – elle était allée ouvrir, abandonnant son cappuccino fumant sur la table basse – et après avoir décacheté l’enveloppe, que le déclic s'était produit.

Le jugement de divorce.

Le divorce.

Sa rГ©action premiГЁre avait Г©tГ© de hurler et le jeter, telle une phobique des araignГ©es recevant une tarentule bien vivante.

Ils gisaient, éparpillés sur son superbe tapis tendance, un cadeau de Saskia, sa patronne décoratrice d’intérieur. L'objet, David Bishop contre Lacey Bishop lui sauta aux yeux. Dans ce fatras de mots indéchiffrables, elle distinguait les termes dissolution du mariage, incompatibilité d'humeur, consentement mutuel …

Elle ramassa les documents en hГ©sitant.

Rien de surprenant. David avait mis un terme à leurs quatorze années de mariage par un “Tu auras des nouvelles de mon avocat !” tonitruant. Mais rien ne préparait Lacey à un tel choc émotionnel une fois les documents en main, ni au caractère oppressant et irrévocable de cet horrible texte rédigé en caractères gras et noirs, sans compter le fameux “consentement mutuel”.

C'était la tendance à New York – le divorce par consentement mutuel est bien plus simple, n’est-ce pas ? – mais ce “consentement mutuel” était un peu fort de café, du moins pour Lacey. Elle était la seule à blâmer d'après David. Trente-neuf ans, sans enfant et pas la moindre envie d'en avoir. Son horloge biologique ne l'avait jamais titillée malgré les bébés de leurs amis – le flot intarissable d’adorables poupons roses ne lui évoquaient strictement rien.

“T'es une vraie bombe,” avait lancé David un soir, en sirotant un verre de merlot.

En d'autres termes “Je ne donne pas cher de notre mariage”.

Lacey laissa échapper un profond soupir. Si elle avait su, en l'épousant à vingt-cinq ans, dans un tourbillon de confetti blancs et de bulles de champagne, que faire passer sa carrière avant la maternité lui reviendrait en plein visage …

Par consentement mutuel. Ha !

Elle se leva et prit un stylo dans le pot à crayons – elle avait l'impression de peser une tonne. Les choses avaient le mérite d'être claires. Envolé le David à la recherche perpétuelle de ses chaussures, ses clés, son portefeuille ou ses lunettes de soleil. Chaque chose était désormais à sa place. Tu parles d'une consolation.

Lacey se rassit sur son canapé, stylo en main, prête à signer sur la ligne pointillée mais resta le stylo en l'air, comme si une barrière invisible empêchait le stylo d’entrer en contact avec le papier. La “clause de pension alimentaire pour conjoint” attira son attention.

Perplexe, Lacey chercha la page en question et parcourut la clause. Disposant de revenus supérieurs à ceux de David et en tant que propriétaire de l'appartement qu'elle habitait dans l'Upper Eastside, elle devrait lui verser “une somme forfaitaire” pour “une durée de deux ans maximum,” afin qu'il “refasse” sa vie et “conserve un train de vie comparable.”

Lacey éclata de rire. C'était cocasse, David profitait de son poste, de cette carrière qui avait justement brisé leur mariage ! Tel n'était certes pas son point de vue. David voyait ça comme une “compensation”. Il prônait l’objectivité, l'équité, l'équilibre mais Lacey connaissait la valeur de l'argent. Châtiment. Vengeance. Représailles.

Et prends-toi Г§a dans la gueule.

La vue de Lacey se brouilla soudainement et une tache apparut sur son nom, diluant l'encre et gondolant le document. Une grosse larme qu'elle essuya rageusement d'un revers de main roula sur sa joue.

Je vais devoir changer de nom, pensa-t-elle devant le nom dГ©sormais illisible. Reprendre mon nom de jeune fille.

Adieu Lacey Fay Bishop. TerminГ©. Elle ne serait plus l'Г©pouse de David Bishop une fois les documents signГ©s. Elle redeviendrait Lacey Fay Doyle, une jeune femme de vingt ans dont elle se souvenait Г  peine.

Lacey avait été une Bishop durant les quatorze années de son mariage avec David, cela n'avait plus aucun sens. Son père avait quitté le foyer familial lorsqu'elle avait sept ans, au retour de charmantes vacances en famille, dans la ville balnéaire paradisiaque de Wilfordshire, en Angleterre. Elle ne l’avait plus jamais revu. Elle se revoyait manger une glace sur une plage sauvage et escarpée, balayée par le vent – et le lendemain, volatilisé.

Et voilà qu'elle vivait le même échec que ses parents ! Malgré toutes les larmes versées sur son père disparu, toutes ces insultes d’ado en colère contre sa mère, voilà qu'elle répétait les mêmes erreurs ! Elle avait foiré son mariage, comme ses parents avant elle. Seule différence, Lacey s'en tirait sans dommages collatéraux. Son divorce ne laisserait pas derrière elle deux petites filles désemparées et brisées.

Elle fixa de nouveau la fichue ligne pointillГ©e qui attendait sa signature. Lacey hГ©sitait, faisant un blocage sur son nouveau nom.

Je pourrais peut-être carrément laisser tomber mon nom de famille, pensa-t-elle, désabusée. Je pourrais m'appeler Lacey Fay, comme une pop star. Elle se sentit soudainement euphorique. Pourquoi m'arrêter en si bon chemin ? Je peux changer de nom pour quelques dollars. Je m'appellerai – elle scruta la pièce des yeux en quête d'inspiration et s'arrêta sur le café intact sur la table basse – Lacey Fay Cappuccino. Pourquoi pas ? Princesse Lacey Fay Cappuccino !

Elle rit Г  gorge dГ©ployГ©e, les boucles noires et brillantes de son opulente chevelure cascadant dans son dos. Sa joie fut de courte durГ©e, son rire s'arrГЄta comme il avait commencГ©. Le silence retomba dans l'appartement vide.

Lacey griffonna hГўtivement sa signature au bas des documents. Alea jacta est.

Elle but une gorgГ©e du cappuccino. Il Г©tait froid.



*



Lacey prit comme d'habitude le métro bondé pour se rendre au bureau, elle exerçait en tant qu’assistante décoratrice. Talons, sac à main, éviter tout contact visuel, Lacey ressemblait à n'importe quelle autre banlieusarde. Sauf que ce n’était pas le cas. Parmi les cinq-cents mille personnes qui empruntaient le métro new-yorkais à l’heure de pointe, elle était la seule, ce matin-là, à avoir reçu les documents notifiant son divorce—c'est ce qu’elle ressentait du moins. Bienvenue au Club des Divorcées.

Lacey sentaient les larmes monter. Elle secoua la tête et se força à penser à des moments agréables. Elle songea à Wilfordshire, la plage sauvage et paisible, l'air iodé de l'océan, du camion de glaces avec son horrible carillon, les frites toutes chaudes – des chips, avait dit Papa – servies dans une barquette en polystyrène avec une mini-fourchette en bois, les goélands essayaient de les lui piquer dès qu'elle tournait le dos. Elle repensa à ses parents, à ces jours heureux en vacances.

Etait-ce un mirage ? Elle n’avait que sept ans, sa sœur Naomi, quatre, et n’était pas en âge de mesurer les émotions tout en subtilité des adultes. Ses parents avaient manifestement bien caché leur jeu, tout se déroulait parfaitement bien jusqu'à ce que, du jour au lendemain, tout vole en éclats.

Ils avaient vraiment l’air heureux à l'époque, songea Lacey, il avait dû en être de même entre David et elle, vus de l'extérieur. C'était le cas : un bel appartement, des postes intéressants et bien payés, en bonne santé. Seul grand absent, ce désir d'enfant, devenu si important aux yeux de David. Le déclic s'était avéré presque aussi brutal que le départ de son père. C'était peut-être un problème typiquement masculin. Un éclair de lucidité, plus de retour arrière possible une fois la décision prise. Et puis le jeu de massacre avait commencé, et si on foutait tout en l'air, après tout ?

Lacey sortit du métro et se joignit à la foule qui se bousculait dans les rues de New York. Elle s’était toujours sentie chez elle à New York mais elle suffoquait. Elle avait toujours aimé cette effervescence, sans parler de son travail. New York était ses racines mais elle ressentait un désir impérieux de changement, un nouveau départ.

Elle prit son tГ©lГ©phone et appela Naomi avant d'arriver au bureau. Sa sЕ“ur rГ©pondit Г  la premiГЁre sonnerie.

“Tout va bien, ma belle ?”

Naomi attendait avec anxiГ©tГ© les papiers du divorce, elle dГ©crochГўt rapidement malgrГ© l'heure matinale. Mais Lacey ne comptait pas parler divorce.

“Tu te souviens de Wilfordshire ?”

“Hein ?”

Naomi avait l'air mal rГ©veillГ©e. Pas Г©tonnant lorsqu'on Г©tait mГЁre cГ©libataire de Frankie, sept ans, le gamin le plus turbulent du monde.

“Wilfordshire. Les dernières vacances qu'on a passées avec Papa et Maman.”

Il y eut un moment de silence.

“Pourquoi tu me demandes ça ?”

A l'instar de leur mère, Naomi avait fait vœu de silence à propos de Papa. Elle était jeune lorsqu'il était parti et soutenait n'avoir aucun souvenir de lui, alors pourquoi gaspiller autant d'énergie à ressasser son absence ? Un vendredi soir, après quelques verres de trop, elle avait avoué se souvenir parfaitement de lui, d'en rêver et d'avoir suivi une thérapie, à raison d’une séance hebdomadaire pendant trois ans, elle l'accusait rageusement d'avoir été la cause de ses déboires amoureux. Naomi s'était jetée à corps perdu dans des relations passionnées et tumultueuses dès l'âge de quatorze ans et en était toujours au même point. La vie sentimentale de Naomi lui donnait le tournis.

“Je les ai reçus. Les documents.”

“Oh, ma chérie. Je suis sincèrement désolée. Tu es … FRANKIE POSE ÇA IMMEDIATEMENT !”

Lacey fit la grimace et écarta son portable de l'oreille pendant que Naomi menaçait Frankie, s'il n'arrêtait pas ses bêtises.

“Désolée ma chérie,” Naomi avait retrouvé sa voix normale. “Ça peut aller ?”

“Ça va.” Lacey marqua une pause. “Non, ça va pas. Je suis à cran. Sur une échelle de un à dix, si je te dis 'je vais pas au boulot et je prends le prochain vol pour l'Angleterre', tu mets combien ?”

“Euh … onze ? Ils vont te virer.”

“Je demanderai un congé pour convenances personnelles.”

Lacey voyait presque Naomi faire les gros yeux.

“À Saskia ? Tu plaisantes ? Tu crois qu'elle va te l'accorder ? T'as oublié qu'elle t'a fait bosser à Noël l'année dernière ?”

Lacey se mordit les lèvres, consternée, un tic hérité de son père, d'après sa mère. “Je dois faire quelque chose, Naomi. J’étouffe.” Elle tira sur son col roulé, il lui faisait soudain l'effet d'un nœud coulant.

“Forcément. C'est compréhensible mais ne décide pas sur un coup de tête. Tu as préféré privilégier ta carrière au lieu de te consacrer à David. Ne gâche pas tout.”

Lacey rГ©flГ©chissait, visiblement contrariГ©e. Naomi se permettait de tirer des conclusions ?

“Je n’ai pas privilégié ma carrière. Il m'a posé un ultimatum.”

“Prends ça comme tu veux, Lacey mais … FRANKIE ! FRANKIE JE TE JURE …”

Lacey était arrivée au bureau. “Au revoir, Naomi,” soupira-t-elle.

Elle raccrocha et contempla l'immense Г©difice en briques auquel elle avait consacrГ© quinze ans de sa vie. Quinze ans pour le travail. Quatorze ans pour David. Et elle dans tout Г§a ? Des vacances. Un retour aux sources. Une semaine. Quinze jours. Un mois tout au plus.

Lacey pГ©nГ©tra dans l'immeuble, plus dГ©terminГ©e que jamais. Saskia aboyait des ordres Г  une stagiaire terrorisГ©e devant un ordinateur. Lacey leva la main pour l'interrompre avant mГЄme que sa patronne ouvre la bouche.

“Je prends un congé pour convenances personnelles.”

Elle eut le temps d'apercevoir Saskia froncer les sourcils, puis, elle tourna les talons et partit comme elle Г©tait venue.

Cinq minutes plus tard, Lacey rГ©servait un vol pour l'Angleterre.




CHAPITRE DEUX


“Tu es folle à lier, sœurette.”

“C'est du grand n'importe quoi ma chérie.”

“Tata Lacey va bien ?”

Les paroles de Naomi, Maman et Frankie tournaient en boucle dans sa tête à sa descente sur le tarmac d'Heathrow. Elle devait être folle pour oser prendre le premier vol au départ de JFK, se taper sept heures de vol avec pour seul valise son sac à main, ses soucis et un sac bourré de vêtements et d’articles de toilette achetés à l’aéroport. Tirer un trait sur Saskia, New York et David la rendait euphorique. Elle se sentait jeune. Insouciante. Téméraire. Courageuse. Elle était redevenue la Lacey Doyle AD (Avant David).

Elle avait annoncé son départ pour l'Angleterre à sa famille au pied levé – par téléphone, rien que ça – mais avait nettement moins rigolé, ils avaient tous la mauvaise habitude de dire tout haut ce qu'ils pensaient tout bas.

“Et si tu te fais renvoyer ?” s'était écriée Maman.

“Oh, elle sera renvoyée, c'est sûr,” avait renchéri Naomi.

“Tata Lacey fait une dépression ?” avait demandé Frankie.

Lacey les imaginait tous les trois autour de la table, à tout faire pour qu'elle se remette les idées en place. C'était faux, bien sûr. En tant que proches, il était de leur devoir qu'elle prenne conscience des dures réalités de la vie. Qui d'autre sinon, pour l'accompagner dans ce plongeon dans l'inconnu post-AD — après David ?

Lacey traversa le hall, emboîtant le pas aux passagers endormis. Le crachin anglais menaçait. Vive le printemps. Lacey réfléchissait, les cheveux frisés par l’humidité. Elle avait atteint le point de non-retour, après sept heures de vol et délestée de quelques centaines de dollars.

Le terminal était un immense bâtiment semblable à une serre, acier et verre bleuté, surmonté d’une coupole de folie. Lacey pénétra dans la salle rutilante et pavée – décorée de fresques cubistes offertes par la fameuse British Building Society – et fit la queue au contrôle des passeports. Son tour arrivé, Lacey tendit son passeport à l’agent de la police des frontières, une blonde renfrognée aux épais sourcils noirs.

“Motif de la visite ? Affaires ou vacances ?”

La douaniГЁre avait un accent prononcГ©, aux antipodes de l'accent chantant des acteurs britanniques que Lacey adorait regarder lors de ses Г©missions prГ©fГ©rГ©es en deuxiГЁme partie de soirГ©e.

“Je suis en vacances.”

“Vous n'avez pas de billet de retour.”

Lacey mit un moment avant de comprendre la douanière, probablement fâchée avec la grammaire. “Je n'ai pas de date retour.”

La douanière fronça ses gros sourcils noirs, d'un air visiblement suspicieux. “Vous devez être en possession d'un visa si vous comptez travailler.”

Lacey répondit par la négative. “Je n'ai pas du tout l’intention de travailler. Je viens de divorcer. J'ai besoin de temps, de prendre du recul, faire le vide, me goinfrer de glace en regardant des films nazes.”

L'expression de la douanière s'adoucit aussitôt, Lacey eu la nette impression qu’elle faisait elle aussi partie du Club des Divorcées.

Elle rendit son passeport à Lacey. “Profitez bien de votre séjour et haut les cœurs, ok ?”

Lacey ravala la petite boule qui s'était formée dans sa gorge, remercia la douanière et franchit les arrivées. Plusieurs groupes de personnes attendaient leurs proches. Certains avaient des ballons ou des fleurs. Un groupe de blondinets tenaient une pancarte indiquant “Bienvenue Maman ! Tu nous as manqué !”

Bien évidemment, personne n'était là pour accueillir Lacey. En traversant le hall bondé vers la sortie, elle songea à David qui ne l'accueillerait plus jamais à l'aéroport. Si seulement elle avait su, au retour de ce fameux voyage d’affaires – elle était partie acquérir un vase ancien, à Milan – que ce serait la dernière fois que David l'attendrait à l’aéroport, le sourire aux lèvres avec un immense bouquet de marguerites, elle en aurait profité davantage.

Lacey hГ©la un taxi. La vue du vГ©hicule noir provoqua une pointe de nostalgie. Naomi, ses parents et elle avaient voyagГ© dans un vГ©hicule identique il y a bien des annГ©es, lors de ces derniГЁres vacances en famille fatidiques.

“Je vous dépose où ?” demanda un chauffeur grassouillet à Lacey, assise à l'arrière.

“A Wilfordshire.”

Un ange passa. Le chauffeur se retourna, l’air bougon, ses gros sourcils froncés. “Vous savez que c'est à deux heures de route ?”

Lacey battit des paupiГЁres, elle ne voyait pas oГ№ il voulait en venir.

“C'est pas un problème,” dit-elle en haussant les épaules.

Il semblait vraiment perplexe. “Vous êtes américaine ? Ch'ais pas combien coûte les taxis là-bas, mais deux heures de trajet, ça va vous coûter bonbon.”

Sa rudesse prit Lacey de court, non seulement elle ne correspondait pas au cГґtГ© impertinent qu'elle se faisait du chauffeur de taxi londonien, mais de plus, il laissait supposer que le trajet Г©tait au-dessus de ses moyens. Elle se demandait si c'Г©tait liГ© au fait qu'elle voyage seule. On n'avait jamais posГ© la question Г  David lorsqu'ils prenaient un taxi sur de longs trajets.

“J’ai de quoi payer,” lança-t-elle un peu sèchement au chauffeur.

Le conducteur se retourna et démarra le compteur, un bip retentit, le symbole de la livre sterling s’afficha en vert, provoquant chez Lacey une certaine nostalgie.

“Alors c'est parfait,” dit-il en démarrant.

Bienvenue en Grande-Bretagne, pensa Lacey.



*



Ils atteignirent Wilfordshire deux heures plus tard comme prévu, les “deux-cent cinquante balles” en valaient la peine. Le tarif prohibitif — sans compter le chauffeur antipathique — lui parurent dérisoires lorsque Lacey descendit de voiture et inspira profondément le bon air vivifiant du large. Pile comme dans ses souvenirs.

Lacey avait toujours été frappée par la manière dont les odeurs et les goûts évoquaient les souvenirs. L’air iodé lui provoquait une insouciance exquise, sensation qu’elle n’avait plus éprouvée depuis le départ de son père. Elle était littéralement submergée. L’angoisse provoquée par la réaction de sa famille suite à son road-trip imprévu s’était dissipée. Lacey était aux anges.

Elle se dirigea vers la rue principale. La bruine d'Heathrow avait disparu, le soleil couchant baignait la ville d'une lumière dorée, c'était magique. Tout était comme dans ses souvenirs – deux rangées parallèles de vieilles maisonnettes en pierre alignées au ras des pavés, avec leurs baies vitrées si caractéristiques donnant sur la rue. Les devantures des boutiques étaient restées dans leur jus depuis sa dernière visite. Elles arboraient toutes une enseigne en bois qui se balançait, chaque boutique était unique ; des vêtements d'enfants à la mercerie, en passant par une boulangerie et un petit café. Il y avait même une “confiserie” à l'ancienne, avec de grandes bonbonnières de verre remplies de bonbons colorés, un penny l’unité.

Nous étions en avril, la ville était pavoisée d'une multitude de banderoles colorées suspendues entre les magasins, Pâques oblige. Il y avait foule – des gens sortant du travail, songea Lacey – certains descendaient leur pinte de bière à des tables installées devant les pubs, d’autres savouraient leur café ou un dessert assis en terrasse. Leur bonne humeur et les agréables bavardages étaient réconfortants.

Lacey ressentait un profond bien-être, elle photographia la rue principale avec son portable. La mer argentée scintillait à l'horizon, le ciel se teintait d'un rose sublime, un vrai décor de carte postale. Elle l'envoya au groupe baptisé “Les Sœurs Doyle” par Naomi, au grand dam de Lacey.

Exactement comme dans mes souvenirs, disait sa lГ©gende, la perfection incarnГ©e.

Un message de Naomi ne tarda pas Г  arriver.

T'as atterri sur le Chemin de Traverse d’Harry Potter, sœurette.

Lacey laissa échapper un soupir. Elle aurait dû s'attendre à une réponse sarcastique de sa sœur cadette. Naomi n'était jamais contente pour elle ou fière de la façon dont elle menait sa barque.

Y'a un filtre ? rГ©pondit sa mГЁre dans la foulГ©e.

Lacey, contrariГ©e, rangea son tГ©lГ©phone. Elle inspira profondГ©ment afin de se calmer, personne n'entamerait sa bonne humeur. ComparГ© Г  l'air polluГ© qu'elle respirait Г  New York ce matin encore, le contraste Г©tait pour le moins saisissant.

Elle descendit la rue, ses talons claquaient sur les pavés. Prochaine étape : louer une chambre pour un nombre de nuits indéterminé. Elle s’arrêta devant le premier Bed & Breakfast venu, The Shire, une pancarte derrière la fenêtre affichait “Complet.” Pas de problème. La rue principale était longue et, si ses souvenirs étaient bons, les chambres ne manquaient pas.

Le Bed & Breakfast suivant – Chez Laurel – rose bonbon, affichait lui aussi “Plus de chambres.” Des mots différents pour un résultat similaire. Lacey sentit l'angoisse la gagner.

Angoisse qu'elle se força à refouler bien vite. Sa famille lui avait mis le doute. Inutile de s'inquiéter, elle finirait bien par trouver quelque chose.

Elle poursuivit son chemin. Le Seaside Hotel, situГ© entre une bijouterie et une librairie, Г©tait complet lui aussi, le Bed & Breakfast Chez Carol qui jouxtait le magasin d'articles de camping et l'institut de beautГ©, idem. Lacey Г©tait arrivГ©e au bout de la rue.

Maintenant, elle angoissait pour de bon. Comment avait-elle pu être assez sotte pour débarquer au pied levé ? Son métier se résumait à organiser, la voilà incapable de planifier ses propres vacances ! Elle n’avait pas d'affaires et pas de chambre. Allait-elle repartir ? Débourser “deux-cent cinquante balles” pour un taxi jusqu'à Heathrow et prendre le prochain vol ? Pas étonnant que David ait rajouté sa clause de pension alimentaire – un vrai panier percé !

Tout Г  ses ruminations, Lacey fit demi-tour, comme si un Bed & Breakfast pouvait apparaГ®tre par enchantement. Lacey repГ©ra alors le dernier bГўtiment Г  l'angle, le Coach House, une auberge.

Cette idiote de Lacey s'Г©claircit la gorge, reprit ses esprits et poussa la porte.

Il s'agissait lГ  d'un pub anglais typique : de grandes tables en bois, un menu Г©crit en italique Г  la craie sur un tableau noir, les lumiГЁres criardes d'une machine Г  sous clignotaient dans un coin. Elle se dirigea vers le comptoir, des bouteilles de vin et des alcools forts, placГ©s tГЄte en bas, reposaient sur des Г©tagГЁres en verre. TrГЁs pittoresque. Un vieil ivrogne s'Г©tait assoupi sur le comptoir, la tГЄte dans ses bras.

La serveuse mince au gros chignon blond défait semblait bien trop jeune pour bosser dans un pub. L’âge légal pour consommer de l'alcool était plus bas en Angleterre qu'aux Etats Unis et de toute façon, plus Lacey prenait de l'âge, plus les autres faisaient jeune.

“Qu'est-ce que je vous sers ? ” demanda la serveuse.

“Une chambre,” lança Lacey “et un verre de prosecco.”

Elle avait envie de faire la fГЄte.

La serveuse répondit par la négative “Nous sommes complets pour Pâques.” Elle parlait la bouche grande ouverte, Lacey pouvait voir son chewing-gum. “Tout est complet. On est en pleines vacances scolaires, les gens viennent à Wilfordshire en famille. Il n’y aura rien de libre avant une bonne quinzaine.” Elle marqua une pause. “Je vous sers quand même le prosecco ?”

Lacey dut se retenir au comptoir, le ventre nouГ©. Quelle idiote. Pas Г©tonnant que David l'ait quittГ©e. La reine des plans foireux. Tu parles d'une excuse. Elle se prenait pour une femme indГ©pendante et n'Г©tait pas fichue de trouver une chambre d'hГґtel Г  l'Г©tranger.

Lacey aperçut une silhouette masculine venir vers elle. La soixantaine, chemise vichy, jean, lunettes de soleil rivé sur un crâne chauve, portable vissé à la ceinture.

“Vous cherchez une chambre ?”

Lacey faillit refuser – elle était certes désespérée, mais pas au point de se faire accoster dans un bar par un homme ayant le double de son âge, Naomi aurait apprécié – l'individu précisa : “Je loue des cottages aux vacanciers.”

“Oh ?” répondit-elle, visiblement surprise.

L'homme acquiesça et sortit une petite carte de visite de son jean stipulant Ivan Parry, cottages charmants, rustiques et confortables. Idéal pour familles.

“On est complet, comme vient de vous le dire Brenda,” poursuivit Ivan en indiquant la serveuse. “Je viens d'acquérir un cottage aux enchères. Il n’est pas encore à louer mais je peux vous faire visiter si ça vous dépanne ? Il a besoin d'être rénové, je vous fais un prix d'ami ? Le temps que des chambres se libèrent.”

Lacey Г©tait grandement soulagГ©e. La carte de visite faisait vraie et Ivan n'avait pas l'air d'un sale type. La chance lui souriait ! SoulagГ©e au point d'embrasser son crГўne chauve !

“Vous me sauvez la vie,” dit-elle en se retenant.

Ivan rougit. “Venez le visiter avant de juger.”

Lacey éclata de rire. “C'est franchement si terrible ?”



*



Lacey soufflait comme un bЕ“uf en grimpant la falaise avec d'Ivan.

“Ça monte trop ?” demanda-t-il, soucieux. “J'aurais dû vous dire que c'était sur la falaise.”

“Pas de problème,” souffla Lacey. “J'adore la vue mer.”

Pendant le trajet, Ivan s’était montré tout le contraire d’un homme d’affaires, évoquant le prix d'ami consenti (bien qu'ils n'en aient pas discuté), lui répétant de pas s'attendre à un palace. Les cuisses raidies par cette longue marche, elle se demandait s'il n’avait pas raison de déprécier son bien.

Le cottage apparut enfin au sommet de la colline. Une grande bГўtisse sombre en pierre se dГ©coupait sur le ciel rose pГўle. Lacey Г©tait Г  bout de souffle.

“On est arrivés ?”

“On est arrivés,” répondit Ivan.

Une énergie nouvelle s'empara soudainement de Lacey une fois sur la falaise. Chaque pas la rapprochant de cet édifice fascinant dévoilait une nouvelle merveille : la belle façade en pierre, le toit en ardoise, les rosiers grimpants autour des colonnes d'une véranda, l'ancienne porte bien épaisse et voûtée, un vrai conte de fées. Et le vaste océan étincelant.

Lacey se hГўtait, les yeux Г©carquillГ©s, bouche bГ©e. Un panneau en bois prГЁs de la porte indiquait Crag Cottage.

Ivan la rejoignit, il cherchait la bonne clé dans son énorme trousseau. Lacey trépignait d’impatience, on aurait dit une enfant chez le marchand de glaces.

“Ne vous faites pas de faux espoirs,” répéta Ivan pour la énième fois, il avait enfin trouvé la clé – une clé en bronze toute rouillée, semblable à celle du château de Raiponce – la fit tourner dans la serrure et ouvrit.

Lacey pГ©nГ©tra dans la maison sans attendre ; Г©trangement, elle s'y sentait chez elle.

Le couloir était des plus rustique, le parquet n'avait plus vu la cire depuis belle lurette, les murs arboraient un papier-peint à fleurs passé. A sa droite, un somptueux tapis rouge aux ferrures dorées traversait l'escalier en son milieu, l’ancien propriétaire prenait son charmant petit cottage pour une demeure fastueuse. À sa gauche, une porte en bois entrouverte l'appelait.

“Comme je vous le disais, c’est quelque peu vétuste,” ajouta Ivan, Lacey avançait sur la pointe des pieds.

Trois des murs du salon étaient recouverts d’un papier peint défraîchi à rayures vertes et blanches, le dernier mur laissait voir les pierres à nu. Une grande baie vitrée avec banquette donnait sur l'océan. Un poêle à bois équipé d'une grande cheminée noire occupait tout un angle, ainsi qu'un seau argenté rempli de bûchettes. Une vaste bibliothèque en bois tapissait tout un pan de mur. Le canapé, le fauteuil et le repose-pieds assortis semblaient tout droit sortis des années 40. Un bon dépoussiérage s'imposait mais pour Lacey, c'était parfait.

Elle fit volte-face, Ivan attendait son verdict avec apprГ©hension.

“J'adore !”

Ivan Г©tait agrГ©ablement surpris (et fier, remarqua Lacey).

“Oh ! Quel soulagement !”

Lacey ne tenait plus en place. Elle se précipita dans le salon, tout excitée, notant le moindre détail. Des romans policiers aux pages vieillies par les ans trônaient dans la bibliothèque en bois sculpté. Une tirelire en porcelaine en forme de mouton, une horloge arrêtée ainsi qu'une entière collection de délicates théières en porcelaine reposaient sur l’étagère inférieure. Elle qui adorait les antiquités, elle était servie.

“Je peux visiter ?” demanda Lacey, le cœur en liesse.

“Faites comme chez vous, je vais allumer la chaudière, histoire d'avoir du chauffage et de l'eau chaude,” répondit Ivan.

Ils empruntГЁrent le petit couloir sombre, Ivan disparut par une porte sous l'escalier tandis que Lacey poursuivait jusqu'Г  la cuisine, le cЕ“ur battant.

Elle poussa un cri une fois sur le seuil.

La cuisine était digne d'un musée de l'ère victorienne, grandeur nature. Avec une véritable cuisinière Aga noire, des marmites et casseroles en cuivre suspendues à des crochets au plafond, et un grand billot de boucher en guise d'îlot central. Une belle pelouse s'étendait devant les fenêtres. De l'autre côté, d’élégantes portes fenêtres donnaient sur un patio meublé d’une table bancale et quelques chaises. Lacey s’y voyait déjà, dégustant des croissants tout chauds de la pâtisserie, sirotant un bon et café péruvien provenant de la boutique attenante.

Un bruit Г©norme provenant de l'Г©tage infГ©rieur la tira brutalement de sa rГЄverie ; on pouvait sentir le plancher vibrer.

“Ivan ?” appela Lacey en retournant dans le couloir. “Tout va bien ?”

Sa voix montait par la porte ouverte de la cave. “C’est la tuyauterie. Ça n’a pas fonctionné depuis des années. Il faudra du temps avant que tout remarche.”

Un nouveau bruit sourd fit sursauter Lacey, elle ne put s’empêcher de rire, la cause étant désormais connue.

Ivan remonta de la cave.

“Tout est en ordre. J'espère que les canalisations ne mettront pas trop de temps à fonctionner,” dit-il d'un air bourru.

“Ce qui fait tout son charme,” précisa Lacey.

“Restez ici aussi longtemps que nécessaire. Je vous préviendrai dès qu'une chambre d'hôtel se libère.”

“Ne vous inquiétez pas,” répondit Lacey. “C’est exactement ce que je cherchais.”

Ivan lui adressa sourire timide. “Alors, disons dix livres par nuit, cela vous convient ?”

Lacey réfléchissait. “Dix livres ? A peu près douze dollars ?”

“C’est trop ?” demanda Ivan, écarlate. “Disons cinq livres ?”

“C'est pas assez !” s'exclama Lacey, consciente qu'elle négociait le prix à la hausse plutôt qu’à la baisse. Ce tarif ridiculement bas était du vol manifeste, Lacey ne voulait pas profiter de cet homme doux et maladroit, qui avait sauvé une demoiselle en détresse. “C’est un cottage d’époque disposant de deux chambres pour une famille. Dépoussiéré et propre, vous en tirerez facilement plusieurs centaines de dollars par nuit.”

Ivan ne savait plus où se mettre. De toute évidence, parler d’argent le mettait mal à l’aise ; la preuve, pensa Lacey, qu’il n’avait rien d'un homme d’affaires. Elle espérait que ses locataires ne profiteraient pas de la situation.

“Quinze livres la nuit ?” proposa Ivan, “Quelqu'un viendra s’occuper du ménage et faire la poussière. ”

“Vingt,” rétorqua Lacey. “Je m'occupe du ménage.” Elle tendit la main en souriant. “Donnez-moi la clé. Marché conclu. ”

Ivan rougit jusqu’aux oreilles. Il acquiesça brièvement et posa la clé de bronze dans sa paume.

“Mon numéro est sur la carte. Appelez-moi en cas de casse, ou plutôt, quand ça cassera.”

“Merci,” répondit Lacey, reconnaissante, tout sourire.

Ivan partit.

Désormais seule, Lacey monta l’escalier afin d'achever son exploration. La chambre principale donnait sur l'avant de la maison et disposait d'un balcon ouvrant sur la mer. Encore une pièce digne d'un musée, avec son grand lit à baldaquin en chêne foncé et un placard assorti assez grand pour mener à Narnia. La deuxième chambre sur l'arrière, donnait sur une pelouse. Les toilettes étaient séparées de la salle de bain, guère plus grande qu’un placard. Les pieds de la baignoire blanche étaient en bronze. Il n'y avait pas de douche séparée, juste un pommeau branché sur les robinets de la baignoire.

Lacey s'affala dans le lit Г  baldaquin de la chambre de maГ®tre. Abasourdie, elle prit enfin le temps de rГ©flГ©chir Г  cette folle journГ©e. Ce matin encore, elle Г©tait mariГ©e depuis quatorze ans. La voilГ  dГ©sormais cГ©libataire. Elle menait une carriГЁre trГ©pidante Г  New York. Et se retrouvait dans un cottage, plantГ© au sommet d'une falaise d'Angleterre. Trop gГ©nial ! Super excitant ! Pour la premiГЁre fois de sa vie elle faisait preuve d'audace, c'Г©tait galvanisant !

La tuyauterie se rappela à son bon souvenir, Lacey poussa un cri perçant avant d'éclater de rire.

Elle s'allongea et contempla le ciel de lit, écoutait les vagues se fracasser contre la falaise, à marée haute. Un souvenir d’enfance raviva un rêve depuis longtemps enfoui, vivre au bord de l’océan. Elle avait complètement oublié ce rêve. Serait-il resté caché au plus profond de sa mémoire, sans jamais fair surface, si elle n’était pas revenue à Wilfordshire ? D'autres souvenirs ressurgiraient peut-être durant son séjour. Demain matin elle irait découvrir la ville, les souvenirs lui reviendraient peut-être.




CHAPITRE TROIS


Lacey fut rГ©veillГ©e par un bruit Г©trange.

Elle se redressa d'un bond, perdue dans cette chambre inconnue Г©clairГ©e par un mince rai de lumiГЁre filtrant entre les rideaux. Quelques secondes furent nГ©cessaires pour reprendre ses esprits, elle n'Г©tait plus dans son appartement Г  New York, mais dans un cottage en pierre, sur les falaises de Wilfordshire, en Angleterre.

Le bruit se fit de nouveau entendre. Il ne provenait pas des canalisations, c'Г©tait quelque chose d'autre, vraisemblablement animal.

Lacey regarda l'heure sur son portable, cinq heures. Elle se leva en soupirant, fourbue, les effets du dГ©calage horaire se faisaient sentir. Les jambes lourdes, elle se dirigea pieds nus vers le balcon et ouvrit les rideaux. La falaise donnait sur la mer Г  perte de vue, un ciel clair et sans nuage virait au bleu. Aucun animal sur la pelouse, le bruit reprit, Lacey en dГ©duisit que cela provenait de l'arriГЁre de la maison.

Lacey enfila le peignoir acheté à l'aéroport in extremis et descendit l'escalier grinçant afin d'en avoir le cœur net. Elle se dirigea droit dans la cuisine donnant sur l'arrière de la maison, les grandes baies vitrées et portes fenêtres offraient une vue imprenable sur la pelouse. Lacey tenait sa réponse.

Un troupeau de moutons avait envahi le jardin.

Lacey cligna des yeux. Il devait y en avoir une quinzaine ! Vingt. Peut-ГЄtre plus !

Elle se frotta les yeux et les rouvrit aussitôt mais les moutons étaient toujours là, broutant l’herbe. L’un d'eux leva la tête.

Lacey le regarda fixement, le mouton finit par se dГ©tourner et poussa un long bГЄlement morne et sonore.

Lacey éclata de rire. Quoi de mieux pour débuter sa nouvelle vie, sans David Doyle. Sa présence à Wilfordshire était peut-être une évidence, et non de simples vacances, elle se redécouvrait, à moins qu'elle soit devenue une autre, une inconnue. Une sensation bizarre avait élu domicile dans son estomac, un peu comme du champagne (à moins que ce soit le décalage horaire – elle avait bien dormi). Elle ne voyait pas l'heure de démarrer la journée.

Lacey était enthousiaste. Hier encore, elle était réveillée par la circulation new-yorkaise ; aujourd’hui, les bêlements s'en étaient chargés. Adieu odeurs de lessive et produits ménagers ; bonjour poussière et océan. Elle avait repris ses anciennes habitudes. Fraîchement célibataire, elle était la reine du monde. Explorer ! Découvrir ! Apprendre ! L'enthousiasme la submergeait, comme … avant le départ de son père.

Lacey refoula ses idГ©es noires. Rien ne viendrait ternir ce bonheur tout neuf. Du moins, pas aujourd'hui. Aujourd'hui, elle Г©tait une autre. Elle Г©tait libre.

Bien que criant famine, Lacey essaya de se doucher dans la baignoire. Elle se mouilla à l'aide de l'étrange tuyau relié aux robinets, comme on l'aurait fait d'un chien boueux. L'eau passait du chaud au froid sans prévenir, les canalisations faisaient clang-clang-clang. L'eau douce enveloppait son corps d'une caresse semblable au plus raffiné des laits corporels, rien à voir comparé à la dureté de l'eau de New York. Lacey savourait cet instant mais l’eau devint soudainement froide, elle claquait des dents.

Débarrassée de la fatigue du voyage et de la pollution urbaine – sa peau était éclatante – elle se sécha et enfila la tenue achetée à l’aéroport. Lacey jugea de son apparence sur le grand miroir qui figurait à l'intérieur de la robuste armoire baptisée Narnia. C'était moche.

Lacey détestait. Elle avait acheté ces vêtements d'été à l’aéroport, les croyant appropriés pour ses vacances balnéaires. Sa tenue soi-disant décontractée lui faisait l'effet de sortir droit d'une friperie. Le pantalon beige était un peu trop serré, la chemise en mousseline blanche trop ample, les chaussures bateau n'étaient pas adaptées aux pavés, pire encore qu'en talons hauts ! Primo : investir dans des vêtements décents.

Son estomac se rappela Г  son bon souvenir.

Secondo, pensa-t-elle en tapotant son ventre.

Elle descendit au rez-de-chaussée. Ses cheveux mouillés gouttaient dans son dos et sur le sol de la cuisine, elle aperçut par la fenêtre quelques moutons çà et là dans le jardin. Lacey ouvrit les placards et le réfrigérateur, vides. Il était encore trop tôt pour descendre acheter des viennoiseries toutes chaudes dans la rue principale. Elle devait tuer le temps.

“Tuer le temps !” s'exclama Lacey, toute contente.

Ça remontait à quand, la dernière fois ? Quand s'était-elle payé le luxe de prendre du temps ? David optimisait toujours le peu de temps libre dont ils disposaient. Gym. Brunch. Déjeuners en famille. Boire un verre. Le moindre temps “libre” était planifié. Lacey eut soudain une révélation : le simple fait d’organiser son temps libre équivalait à renier sa liberté ! En laissant David planifier et diriger leur temps libre, elle s'était retrouvée prise au piège d’obligations diverses et variées. Cet éclair de lucidité revêtait une dimension presque bouddhiste.

Le DalaГЇ-lama serait fier de moi, songea Lacey, en battant des mains.

Les moutons choisirent ce moment pour bГЄler. Lacey userait de sa libertГ© fraГ®chement acquise pour jouer au dГ©tective amateur et dГ©couvrir d'oГ№ venait ce troupeau de moutons.

Elle ouvrit les portes fenêtres et pénétra dans le patio. Une agréable brume matinale baignait son visage tandis qu’elle cheminait dans le jardin en direction des deux bêtes laineuses occupés à brouter. Ils détalèrent d'une démarche pataude en la voyant arriver avant de disparaître par un trou dans la haie.

Lacey s'approcha et regarda entre les arbustes, pour découvrir un jardin débordant de fleurs magnifiques ; elle avait donc un voisin. À New York, ses voisins étaient distants. Des couples qui travaillaient comme David et elle, partaient à l'aube et rentraient à la nuit tombée. A en juger par son jardin magnifiquement entretenu, ce voisin avait une vie rêvée. Et des moutons ! Personne ne possédait d'animal de compagnie dans le quartier de Lacey – les carriéristes n’avaient pas de temps à perdre derrière des animaux, ni envie de s’encombrer de tous ces poils et odeurs campagnardes. Vivre au contact de la nature, quel bonheur ! L'odeur du crottin offrait un contraste plaisant avec son immeuble new-yorkais aseptisé.

Lacey remarqua en se redressant que l’herbe était piétinée par endroits, laissant apparaître un sentier fréquemment emprunté qui longeait les arbustes en direction de la falaise et menait à un petit portail presque entièrement recouvert de plantes, qu'elle décida d'ouvrir.

Une volГ©e de marches creusГ©es Г  flanc de falaise menait Г  la plage. On se serait cru dans un conte de fГ©es, Lacey entama prudemment la descente.

Ivan ne lui avait pas indiquГ© cet accГЁs direct Г  la plage, elle sentirait bientГґt le sable entre ses orteils. Et dire qu'Г  New York, elle Г©tait toute fiГЁre de ses deux minutes de marche quotidienne pour rejoindre le mГ©tro.

Lacey descendit les marches de guingois, les escaliers s'arrГЄtant Г  quelques mГЁtres de la plage, elle sauta. Le sable souple amortit sa rГ©ception, malgrГ© ses chaussures bon marchГ©.

Lacey inspira Г  pleins poumons, libre et insouciante. La plage Г©tait dГ©serte. Vierge. Trop Г©loignГ©e de la ville et des commerces pour que les gens s'y aventurent. Une petite plage privГ©e rien qu'Г  elle.

Vers la ville, la jetée gagnait sur l'océan. Elle se souvint tout à coup des jeux d’arcade à la fête foraine, son père leur avait donné deux livres pour jouer. Lacey se rappelait, tout excitée, d'un cinéma sur la jetée, une salle minuscule d'à peine huit places qui n'avait guère changé depuis sa construction, avec des fauteuils en velours rouge. Papa les avait emmenées avec Naomi voir un dessin animé japonais. Les souvenirs de son voyage à Wilfordshire se bousculaient. La mémoire lui reviendrait-elle ?

A marée basse, la structure de la jetée était presque entièrement visible. Lacey aperçut des promeneurs avec leur chien et des joggeurs. La ville se réveillait lentement, le café serait peut-être ouvert. Elle décida de longer le sentier littoral pour rejoindre la ville.

La falaise cédait du terrain à la ville, des routes et rues firent bientôt leur apparition. Un autre souvenir frappa Lacey à la seconde où elle foula la promenade : un marché avec des étals de vêtements, bijoux et sucres d’orge. Des chiffres peints à la bombe indiquaient leurs emplacements spécifiques. Lacey était excitée comme une puce.

Lacey quitta la plage et bifurqua vers l'artère principale – la Grand-Rue, comme disent les Britanniques. Elle aperçut le Coach House à l'angle, c'est là qu'elle avait rencontré Ivan, et s'engouffra dans une rue pavoisée de banderoles.

Tout Г©tait si diffГ©rent comparГ© Г  New York. Le rythme Г©tait plus lent. Pas de klaxons. Pas de bousculade. A son grand Г©tonnement, certains cafГ©s Г©taient dГ©jГ  ouverts.

Elle entra dans le premier cafГ© venu sans faire la queue, commanda un cafГ© noir et un croissant. Le cafГ©, Г  l'arГґme riche et aux notes chocolatГ©es, Г©tait torrГ©fiГ© Г  point, le croissant pur beurre, feuilletГ© Г  souhait et dГ©licieusement fondant.

Sa faim apaisée, Lacey partit en quête de vêtements plus adaptés. Elle avait repéré une boutique sympathique à l’autre bout de la rue mais fut attirée par une odeur sucrée. Une confiserie proposant des caramels maison venait d'ouvrir, impossible de résister.

“Vous voulez goûter ?” proposa un homme vêtu d'un tablier rayé rose et blanc. De petits cubes bruns de nuances différentes étaient disposés sur un plateau d'argent. “Chocolat noir, chocolat au lait, chocolat blanc, caramel, toffee, caramel au café, aux fruits et l’original.”

Lacey ne savait plus où donner de la tête. “Je peux les goûter tous ?”

“Bien entendu !”

L’homme découpa de petits dés de chaque qu'il offrit à Lacey. Elle engloutit le premier, une réelle explosion de saveurs.

“Fantastique,” affirma-t-elle la bouche pleine.

Elle passa au suivant, encore meilleur que le prГ©cГ©dent.

Elle les goГ»ta un par un, le dГ©lice allait crescendo.

Lacey s'exclama, à peine la dernière bouchée avalée “Je dois à tout prix en envoyer à mon neveu. Ça se conserve jusqu'à New York ?”

L'homme lui présenta un étui plat cartonné au fond revêtu d'aluminium en souriant. “Sans problème grâce à notre emballage spécial livraison,” dit-il en riant. “La demande explose, création exclusive. Suffisamment mince pour passer dans la boîte à lettres, suffisamment légère pour réduire les frais d'envoi. Nous vendons également les timbres.”

“Quel concept novateur ! Vous avez pensé à tout.”

L’homme remplit la boîte d’un cube de chaque, la scella à l'aide de ruban adhésif et colla les timbres requis. Lacey prit son petit colis après avoir payé et remercié le commerçant, y inscrivit le nom et l’adresse de Frankie et la glissa dans la traditionnelle boîte à lettres rouge de l’autre côté de la rue.

Lacey s'était distraite de son objectif premier — les vêtements. Elle partait en quête d'une boutique lorsque son attention fut attirée par la vitrine d'un magasin près de la boîte aux lettres. La plage de Wilfordshire et la jetée étaient reproduites en macarons pastel.

Lacey regretta immédiatement le croissant et les caramels, cette vision délicieuse lui mettait l’eau à la bouche. Elle prit une photo qu'elle posterait sur le mur des Sœurs Doyle.

“Puis-je vous aider ?” demanda une voix masculine.

Lacey se figea. Le propriГ©taire du magasin, trГЁs bel homme, la quarantaine, cheveux bruns Г©pais et mГўchoire carrГ©e, se tenait sur le pas de la porte. Un regard vert pГ©tillant, de petites rides au coin des yeux et aux commissures des lГЁvres, cet homme profitait de la vie, son teint halГ© laissait deviner de frГ©quents voyages en pays lointains.

“Je regarde,” répondit Lacey, la gorge nouée. “C'est sublime.”

L'homme sourit. “C'est moi qui l'ai faite. Vous aimeriez goûter ?”

“J'aimerais bien mais je n'ai plus faim,” se justifia Lacey. Le croissant, le café et le caramel ne faisaient pas bon ménage, elle était nauséeuse. Lacey comprit soudainement – la sensation de papillons dans le ventre, ça remontait à tellement longtemps. Le rouge lui monta aux joues.

Il riait maintenant. “Je devine à votre accent que vous êtes américaine. Vous ignorez sans doute qu'en Angleterre existe la fameuse pause de onze heures. Entre le petit-déjeuner et le déjeuner.”

“C'est faux,” répondit Lacey, le sourire aux lèvres. “La pause de onze heures ?”

Il était des plus sérieux. “Je vous assure que ce n’est pas un coup marketing ! C’est l'heure idéale pour un thé et un gâteau, un thé et des sandwichs, un thé et des biscuits”. Il faisait de grands gestes devant sa porte en direction de la vitrine de friandises, dont la mise en scène créative exaltait les saveurs certainement exquises. “Ou tout en même temps.”

“Pourvu qu'il y ait du thé ?” lança Lacey.

“Exactement,” ses yeux verts espiègles pétillaient. “Vous avez le droit de goûter avant d'acheter.”

Lacey, n'y tenant plus, entra, succombant Г  sa dГ©pendance au sucre ou, plus exactement, Г  l'attraction magnГ©tique de ce magnifique spГ©cimen.

Elle l'observait goulument, l'eau à la bouche, prendre dans la vitrine réfrigérée un petit gâteau rond garni de beurre, crème et confiture. Il le coupa soigneusement d'un geste théâtral et gracieux, déposa les morceaux sur une petite assiette en porcelaine qu'il tendit à Lacey du bout des doigts, en ponctuant son œuvre d'un “Et voilà !”

Lacey eut subitement trГЁs chaud. La sГ©duction dans toute sa splendeur. ГЂ moins qu'elle se trompe ?

Lacey prit une part, l’homme fit de même et trinqua avec sa propre part.

“Santé.”

“Santé,” répondit Lacey.

Elle mordit une bouchГ©e. Une explosion de saveurs. Une crГЁme Г©paisse et sucrГ©e. La confiture de fraises faisait frГ©mir ses papilles. Et le gГўteau ! Une pГўte ferme au subtil goГ»t de beurre, un mГ©lange sucrГ©-salГ© Гґ combien rГ©confortant.

Ces saveurs rГ©veillГЁrent soudain un souvenir. Lacey Г©tait assise avec son pГЁre, Naomi et maman Г  une table blanche en fer, dans un joli cafГ©, ils dГ©gustaient des pГўtisseries fourrГ©es Г  la crГЁme et Г  la confiture. Une nostalgie rГ©confortante l'envahit.

“Je suis déjà venue ici !” s'exclama Lacey la bouche pleine.

“Ah ?” rétorqua l'homme amusé.

Lacey hocha la tête avec enthousiasme. “Je venais à Wilfordshire étant enfant. C'est bien un scone ?”

L’homme haussa les sourcils, visiblement intrigué. “Oui. Mon père était propriétaire de la pâtisserie avant moi. J'utilise encore sa recette de scones.”

Lacey regarda la vitrine. Elle imaginait parfaitement à quoi ça ressemblait trente ans auparavant, malgré la banquette au coussin bleu ciel et la table en bois rustique. Un vrai voyage dans le temps. Elle sentait presque la brise sur sa nuque, ses doigts collants de confiture, l'arrière de ses genoux en sueur … Un rire, celui de ses parents, leurs visages insouciants. Ils avaient l'air heureux. Elle en était persuadée. Pourquoi tout avait volé en éclats ?

“Tout va bien ?”

Lacey reprit ses esprits. “ Oui. Excusez-moi. J'étais perdue dans mes souvenirs. Ce scone m'a fait faire un bond de trente ans en arrière.”

“La pause de onze heures s'impose,” dit-il en riant. “Vous vous laissez tenter ?”

Lacey Г©tait parcourue de picotements, elle accepterait tout ce que cet homme Г  l'accent chantant et au magnifique regard chaleureux lui proposerait. Elle se borna Г  acquiescer, la gorge trop nouГ©e pour parler.

Il applaudit. “Super ! Laissez-moi vous concocter une expérience à l'anglaise inoubliable.” Il était sur le point de partir mais fit volte-face. “Je m’appelle Tom.”

“Lacey,” répondit-elle tout émoustillée, une vraie ado avec son crush.

Lacey s'installa prГЁs de la fenГЄtre pendant que Tom s'affairait en cuisine. Elle essayait de se souvenir, mais rien ne lui revenait en mГ©moire, hormis le goГ»t des scones et ce fameux rire.

Tom le magnifique revint au bout d'un moment avec une desserte garnie de sandwichs au pain de mie, de scones et d'un assortiment de gâteaux multicolores dignes d’un conte de fées, il déposa une théière sur la table.

“Je ne pourrais jamais manger tout ça !” s'exclama Lacey.

“C’est pour deux. Cadeau de la maison. On invite toujours une dame lors d'un premier rendez-vous.”

Il s'installa Г  ses cГґtГ©s.

Sa spontanГ©itГ© prenait Lacey de court. Son cЕ“ur s'emballait. Cela faisait bien longtemps qu'un homme n'avait pas cherchГ© Г  la sГ©duire. Elle se sentait une Гўme d'adolescente. Une certaine gГЄne.

Il s'agissait peut-ГЄtre d'un comportement typiquement britannique. Les Anglais se comportaient tous de la sorte ?

“Un premier rendez-vous ?” répéta-t-elle.

La cloche tinta avant que Tom ne puisse rГ©pondre. Une dizaine de touristes japonais s'engouffra dans la boutique, Tom se leva d'un bond.

“Oh oh, des clients,” s'adressant à Lacey, “on remet ça pour plus tard, ok ?”

Tom se dirigea vers le comptoir avec son assurance coutumiГЁre, Lacey ne savait que dire.

La boutique bruyante et animГ©e Г©tait envahie de touristes. Lacey essaya d'accrocher Tom du regard tout en engloutissant son en-cas mais c'Г©tait en pure perte, trop occupГ© qu'il Г©tait Г  prГ©parer les commandes des nombreux clients.

Elle voulut le saluer une fois terminГ© mais il Г©tait en cuisine, hors de sa vue.

Quelque peu déçue et le ventre trop plein, Lacey franchit la porte de la pâtisserie et se retrouva dans la rue.

Elle s'arrêta net. La devanture d’un magasin vide, situé face à la pâtisserie, l'attirait. Une vague d'émotions s'empara d'elle, le souffle littéralement coupé. Une réminiscence du passé était liée à cette boutique, enfouie au plus profond de ses souvenirs d'enfants. Elle devait en avoir le cœur net.




CHAPITRE QUATRE


Lacey regarda par la vitrine du magasin, d'autres souvenirs remonteraient peut-ГЄtre, mais rien de concret. C'Г©tait plus un sentiment qu'autre chose, plus profond que de la simple nostalgie, comme un coup de foudre.

L'intГ©rieur de la boutique Г©tait vide et sombre. Le parquet Г©tait en bois clair, Lacey apercevait de nombreuses Г©tagГЁres dans diffГ©rentes alcГґves, un grand bureau en bois contre un mur. Le lustre Г©tait en laiton, une piГЁce ancienne. Hors de prix. Ils ont dГ» l'oublier.

Lacey s'aperçut que la porte était ouverte. Elle ne put s'empêcher d’entrer.

La pièce était imprégnée d'une odeur métallique, mélange de poussière et moisi. Une nouvelle vague de nostalgie envahit Lacey. L’odeur lui rappelait le magasin d’antiquités paternel.

Elle adorait cet endroit. Enfant, elle passait tout son temps dans ce dГ©dale de trГ©sors, Г  jouer avec ces effrayantes anciennes poupГ©es en porcelaines, Г  lire toutes les bandes dessinГ©es enfantines qui lui tombaient sous la main, de Bunty Г  Beano, en passant par les rares et prГ©cieux exemplaires de L'Ours Rupert. Mais ce que Lacey prГ©fГ©rait, c'Г©tait regarder les bibelots, imaginer la vie, la personnalitГ© des prГ©cГ©dents propriГ©taires. Un vrai bric Г  brac, des gadgets, des babioles, et toujours cette odeur indГ©finissable de poussiГЁre et de mГ©tal.

Le Crag Cottage avait rГ©veillГ© un rГЄve d'enfant - vivre au bord de la mer - un autre rГЄve refaisait surface : ouvrir sa boutique.

La configuration lui rappelait l’ancienne boutique de son père. Des images puisées au fin fond de sa mémoire lui venaient à l'esprit, semblable à du papier calque sur un dessin existant. Lacey imaginait déjà de beaux objets sur les étagères – des ustensiles de cuisine de l’ère victorienne notamment, son père s'y intéressait tout particulièrement – la lourde et encombrante caisse enregistreuse en laiton, aux touches raides, que son père persistait à utiliser pour “garder l'esprit vif” et “faire du calcul mental” trônerait sur le comptoir. Elle sourit en se remémorant les paroles de son père, à l'évocation de ces souvenirs.

Lacey était trop absorbée dans sa rêverie pour prêter attention aux pas dans l’arrière-boutique. Elle ne remarqua pas l'homme qui avait franchi la porte – visiblement mécontent – et venait droit sur elle. Lacey réalisa qu'elle n'était pas seule en sentant une petite tape sur son épaule.

Son cœur bondit dans sa poitrine, elle faillit crier, fit volte-face et se retrouva face à un étranger. Un homme âgé aux rares cheveux blancs, des cernes violettes donnaient un air bouffi à ses yeux d'un bleu perçant.

“Vous cherchez quelque chose ?” demanda-t-il d'un ton peu amène.

Lacey porta la main à son cœur. Il lui fallut un certain temps pour se remettre, le fantôme paternel ne lui avait pas tapé sur l’épaule, elle n’était plus une enfant dans le magasin d’antiquités de son père, mais une adulte en vacances en Angleterre, entrée sans autorisation dans une propriété privée.

“Oh mon Dieu, je suis sincèrement désolée !” s'exclama-t-elle. “J’ignorais qu’il y avait quelqu'un. C'était ouvert.”

L'homme lui coula un regard sceptique. “Vous ne voyez pas que le magasin est vide ? Il n'y a rien à vendre.”

“Je sais,” avoua Lacey, en tentant désespérément de se justifier et dissiper la méfiance du vieil homme. “C'est plus fort que moi. Cet endroit me rappelle tant la boutique de mon père.” Lacey avait les larmes aux yeux. “Il a disparu alors que je n'étais qu'une enfant.”

L'attitude du vieil homme changea radicalement. Son attitude renfrognГ©e et sur la dГ©fensive cГ©dГ© la place Г  la douceur et la bienveillance.

“Pauvre petite,” dit-il gentiment tandis que Lacey essuyait ses larmes. “Ce n'est rien. Votre père possédait un magasin similaire ?”

Lacey s'en voulait d'avoir donnГ© libre cours Г  ses Г©motions devant cet homme, il avait agi en fin psychologue, avec compassion, la rГ©confortant, sans porter de jugement, au lieu d'appeler la police pour violation de propriГ©tГ©. Lacey lui ouvrit son cЕ“ur.

“Il possédait une boutique d'antiquités,” expliqua-t-elle le sourire aux lèvres tandis que ses larmes coulaient. “L'odeur est la même, tout m’est revenu en mémoire d'un coup. Le magasin était agencé de la même manière.” Elle indiqua la pièce par laquelle l'homme était entré. “L’arrière-boutique faisait office de stockage, il avait toujours voulu en faire une salle des ventes. Elle était tout en longueur et donnait sur un jardin.”

L'homme souriait. “Venez voir. L'arrière-boutique est tout en longueur et donne elle aussi sur un jardin.”

TouchГ©e par tant d'empathie, Lacey suivit l'homme dans l'arriГЁre-boutique longue et Г©troite, semblable Г  un wagon, quasiment identique Г  celle oГ№ son pГЁre rГЄvait d'organiser ses enchГЁres. Lacey traversa la piГЁce qui dГ©bouchait sur un jardin splendide assez Г©troit d'environ quinze mГЁtres de long. Une dГ©bauche de plantes et de couleurs, des arbres et des arbustes astucieusement plantГ©s dispensaient une ombre bienfaitrice. Une clГґture Г  mi-hauteur sГ©parait le jardin voisin faisant office de stockage, de gros abris de jardin moches et gris et des poubelles alignГ©es offraient un contraste saisissant avec le magnifique jardin.

Lacey admirait le charmant jardin.

“C'est superbe.”

“En effet,” avoua l’homme en redressant un pot de fleurs. “Les précédents locataires y habitaient, une boutique de jardinage. ”

Lacey remarqua immГ©diatement le ton mГ©lancolique du vieil homme. Les portes de la serre Г©taient grandes ouvertes, plusieurs plantes Г©taient jetГ©es au sol, les tiges piГ©tinГ©es, la terre renversГ©e. Elle Г©tait intriguГ©e. Voir ces plantes Г©parpillГ©es dans un jardin si bien entretenu Г©tait pour le moins Г©trange. Elle oublia son pГЁre et se concentra sur l'instant prГ©sent.

“Que s'est-il passé ?”

Le vieil homme était abattu. “C'est la raison de ma présence ici. La voisine m'a appelé ce matin, en me disant qu'un vol avait eu lieu la nuit dernière.”

Lacey était bouche bée. “Un cambriolage ?” Elle avait du mal à imaginer que la paisible cité balnéaire de Wilfordshire soit le théâtre d'un crime. Elle imaginait que le seul larcin susceptible d'être commis se résumait au gamin volant une tarte mise à refroidir sur le rebord d'une fenêtre.

L'homme secoua tristement la tête. “Non. Ils ont embarqué toutes leurs affaires et vidé les lieux. Sans préavis, en me laissant leurs dettes et des impayés, une tonne de factures.”

Lacey comprit que la boutique avait Г©tГ© vidГ©e ce matin-mГЄme, qu'elle se retrouvait mГЄlГ©e Г  un scГ©nario improbable, les prГ©mices d'une affaire mystГ©rieuse.

“Je suis sincèrement désolée,” dit-elle avec sincérité. A son tour de le réconforter, de faire preuve de gentillesse envers cet homme. “Ça va aller ?”

“Non,” avoua-t-il d'un air sombre. “Nous allons devoir vendre le local pour éponger les dettes, ma femme et moi sommes trop âgés pour supporter un tel stress.” Il tapota au niveau de son cœur, afin qu'elle comprenne. “Renoncer à cet endroit me fend le cœur.” Il chevrotait. “C’est une maison de famille. J'y tiens. Nous avons eu des locataires hauts en couleur.” Il partit d'un petit rire, les yeux embués. “Mais non. On n'y survivrait pas. Trop de stress.”

Lacey avait le cœur brisé. Quel malheur. C'était terrible. La sympathie qu’elle éprouvait pour cet homme était exacerbée par sa propre situation, la vie qu'elle avait bâti avec David à New York venait de voler en éclats. Elle tenait à l'aider et résoudre son problème.

“Je vous loue la boutique,” lâcha-t-elle, sans réfléchir.

L'homme haussa ses sourcils blancs, visiblement surpris. “Pardonnez-moi, vous pouvez répéter ? ”

“Je loue la boutique,” répéta Lacey avant que sa logique ne l’en dissuade. “Vous ne pouvez pas la vendre. Elle est chargée d'histoire, vous l'avez dit vous-même. Une trop grande valeur sentimentale. Je suis digne de confiance. J'ai de l'expérience. Dans une certaine mesure.”

Elle repensa à la femme aux sourcils noirs de l’aéroport, qui tentait de lui expliquer qu'un visa de travail était obligatoire, ce à quoi elle avait répondu que travailler ne faisait pas partie de ses projets au cours de son séjour en Angleterre.

Et Naomi ? Son poste chez Saskia ? EnvolГ© ?

Plus rien n'avait importance. Lacey avait eu le coup de foudre pour cette boutique. Alea jacta est.

“Alors ? Qu'en dites-vous ?”

Le vieil homme était comme sonné. Lacey ne pouvait pas lui en vouloir. Une drôle d'américaine mal fringuée souhaitait louer le magasin qu’il comptait vendre.

“Et bien … je … j'aimerais bien le garder encore un peu. Le moment est mal choisi pour vendre, vue la conjoncture. J'aimerais en parler avec Martha, ma femme, au préalable.”

“Bien sûr,” répondit Lacey. Elle nota rapidement son nom et son numéro sur un bout de papier, surprise par tant d'assurance. “Prenez votre temps.”

Elle avait elle aussi besoin de temps pour son visa, Г©laborer un business plan, trouver des financements, constituer un stock etc. Et se procurer Monter son Magasin pour les Nuls.

“Lacey Doyle,” dit l'homme en lisant le bout de papier.

Lacey acquiesça. Deux jours avant, ce nom ne lui était pas familier. Ce n'était plus le cas.

“Stephen.”

Ils Г©changГЁrent une poignГ©e de main.

“J'attends votre coup de fil,” ajouta Lacey.

Elle quitta la boutique, impatiente au possible. Elle s'installerait dГ©finitivement Г  Wilfordshire si Stephen acceptait de louer sa boutique. Cette idГ©e Г©tonnante la remplissait de joie. Г‡a coulait de source. Elle se sentait bien. Car tel Г©tait son destin.




CHAPITRE CINQ


“Je te croyais en vacances !” hurlait Naomi furieuse, Lacey avait coincé son portable dans son cou.

Elle soupira sans prГЄter attention Г  la diatribe de sa sЕ“ur, tout en tapotant sur le clavier de la bibliothГЁque municipale de Wilfordshire. Elle consultait l'avancement de sa demande de modification de visa de vacances en visa de travail.

Suite à sa rencontre avec Stephen, Lacey s'était informé et apprit que, parlant parfaitement anglais et disposant d’un compte en banque confortable, tout ce dont elle avait besoin était un business plan qui tienne la route – elle ne manquait pas d’expérience, Saskia avait pour coutume de tout lui mettre sur le dos sans que ça lui coûte un rond. Lacey employa plusieurs soirées à élaborer et soumettre son plan, tout se passait comme sur des roulettes, un ange gardien devait veiller sur elle.

Parvenue sur le site officiel du gouvernement britannique, elle constata que sa demande Г©tait toujours En Attente. Elle attendait si impatiemment le feu vert qu'elle ne put contenir sa dГ©ception. Avant de retourner Г  Naomi.

“Tu déménages, J'Y CROIS PAS !” hurlait sa sœur. “Définitivement !”

“Y'a rien de définitif,” expliqua Lacey calmement. Au fil des ans, elle avait appris à ne pas se focaliser sur la mauvaise humeur de Naomi. “Le visa n'est valable que deux ans.”

Oups. Erreur fatale.

“DEUX ANS ?” hurla Naomi, fulminant de colère.

Lacey leva les yeux au ciel. Elle savait pertinemment que sa famille ne la soutiendrait pas. Naomi avait besoin d'elle Г  New York pour garder Frankie et Maman la traitait comme un animal de compagnie, pur soutien Г©motionnel. Le bГЄte message postГ© sur le mur des SЕ“urs Doyle avait fait l'effet d'une bombe atomique. Lacey en faisait encore les frais.

“Oui, Naomi,” répondit-elle, déçue. “Deux ans. Je le mérite, non ? J'ai consacré quatorze ans de ma vie à David. Quinze ans à mon travail. New York m'a volé trente-neuf années de ma vie. J'ai bientôt quarante berges, Naomi ! Tu crois que j'ai envie de passer toute ma vie au même endroit ? Faire le même boulot ? Vivre avec le même homme ?”

Le séduisant Tom lui revint à l'esprit, le rouge lui monta aux joues. Elle était tellement occupée à organiser sa nouvelle vie qu’elle n’était pas retournée à la pâtisserie – les délicieux petits déjeuners en terrasse avaient temporairement été éclipsés par une banane et un frappuccino à l’épicerie du coin. Elle venait de réaliser que si la location se faisait avec Stephen et Martha, la boutique qu'elle louerait serait située pile en face de chez Tom, elle le verrait tous les jours. Elle avait des papillons dans le ventre.

“Et Frankie ?” se lamentait Naomi, la ramenant à la réalité.

“Je lui ai envoyé des caramels.”

“Il a besoin de sa tante !”

“Je suis là ! Je suis pas morte, Naomi, je vais juste vivre à l’étranger quelque temps.”

Sa petite sЕ“ur lui raccrocha au nez.

Trente-six ans mais seize ans d'Гўge mental, se moqua Lacey.

Alors qu'elle rangeait son portable dans sa poche, Lacey vit l'écran de l'ordinateur clignoter. Sa demande de visa était passé de “En Attente” à “Approuvé.”

Lacey bondit de son siège en criant de joie, le poing en l’air en signe de victoire. Tous les seniors qui jouaient au solitaire sur les ordinateurs de la bibliothèque se retournèrent, visiblement inquiets.

“Désolée !” s'exclama Lacey en essayant de calmer sa joie.

Elle se rassit, le souffle coupé. Elle avait réussi. Elle avait obtenu le feu vert et pourrait mettre son plan à exécution. Tout marchait comme sur des roulettes, les auspices lui étaient favorables …

Mais un dernier obstacle subsistait. Stephen et Martha devaient accepter de lui louer le magasin.



*



Lacey déambulait en centre-ville, anxieuse. Elle ne voulait pas trop s'éloigner de la boutique, elle y foncerait dès qu'elle recevrait l'appel de Stephen avec son chéquier et son stylo – avant de trop réfléchir et se persuader qu'elle agissait sur un coup de tête. Lacey adorait faire du lèche-vitrine, elle décida de passer la ville en revue. Ses chaussures bateau bon marché se prirent entre les pavés, elle trébucha et se tordit la cheville. Lacey devait changer de look si elle voulait être prise au sérieux en tant que nouvelle chef d'entreprise.

Elle se dirigea vers la boutique de prГЄt-Г -porter situГ©e prГЁs de son futur local, du moins elle l'espГ©rait.

Et faire la connaissance des voisins.

Elle entra dans la boutique minimaliste au choix limité. La femme leva les yeux derrière son comptoir et toisa ostensiblement Lacey. Maigre et sévère, elle arborait la même coiffure noire et ondulée que Lacey. Sa robe noire lui donnait l’apparence d'un double maléfique, songea Lacey, amusée.

“Puis-je vous aider ?” demanda la femme d'une voix haut perchée désagréable.

“Non merci,” répondit Lacey. “Je sais ce qu'il me faut.”

Elle choisit un tailleur sur le prГ©sentoir, identique Г  ceux qu'elle portait Г  New York, et s'arrГЄta. Encore ? Tenait-elle vraiment Г  s'habiller encore ainsi ? Ou devenir une autre ?

Elle se tourna vers la vendeuse. “Je risque d'avoir besoin d'aide.”

Impassible, elle sortit de derrière son comptoir et vint vers Lacey. Elle perdait son temps – cette cliente tout droit sortie d'une friperie croyait pouvoir s’offrir des fringues dans sa boutique ? – Lacey attendait impatiemment le moment de brandir sa carte bancaire, avant de juger.

“J'ai besoin d’une tenue pour le travail,” déclara Lacey. “Formelle, sans être sévère, vous avez ?”

“Quel type de travail ?”

“Antiquaire.”

“Antiquaire ?”

“Oui. Antiquaire.”

La femme choisit un ensemble sur le portant. Mode, audacieux, à la coupe légèrement masculine. Lacey passa en cabine et admira son reflet avec un grand sourire. Cool. Malgré son air de mégère, la vendeuse avait un goût impeccable et le coup d’œil pour mettre la silhouette en valeur.

Lacey sortit de la cabine. “C'est parfait. Je le prends. J'en veux quatre autres de couleurs différentes.”

La vendeuse la regarda l'air ébahi. “Pardon ?”

Le tГ©lГ©phone de Lacey sonna. C'Г©tait Stephen.

Son cœur bondit dans sa poitrine. Enfin ! L’appel qu’elle attendait ! L'appel qui déterminerait son avenir !

“Je le prends,” lui répéta Lacey, le souffle court. “Et quatre autres dans des teintes qui me vont. ”

La vendeuse perplexe se rendit dans l’arrière-boutique – encombrée de portants gris et moches, songea Lacey – chercher les ensembles.

Lacey décrocha. “Stephen ?”

“Bonjour Lacey. Je suis avec Martha. Rendez-vous au magasin pour discuter ?”

Son air enjouГ© lui parut prometteur, Lacey avait le sourire.

“Parfait. J'y suis dans cinq minutes.”

La vendeuse revint les bras chargés d’autres ensembles. Les couleurs étaient parfaites – beige, noir, bleu marine et rose poudré.

“Vous les essayez ?” demanda la vendeuse.

Lacey fit non de la tГЄte. Elle Г©tait pressГ©e, impatiente de terminer ses emplettes et filer chez le voisin. Elle fixait la porte avec impatience.

“ Non, je vous fais confiance, ce sont les mêmes, ça ira. Vous pouvez les emballer ?” demanda-t-elle, pressée. Elle perdait patience. “Oh, je garde celui-ci.”

La vendeuse demeurait imperturbable malgrГ© les tentatives de Lacey pour qu'elle accГ©lГЁre le mouvement. Comme un fait exprГЁs, elle prit tout son temps pour plier et emballer soigneusement chaque article dans du papier de soie.

“Attendez !” s'exclama Lacey, tandis que la femme prenait un sac en papier pour y loger les vêtements. “Je ne vais pas sortir avec un sac en papier. Il me faut un sac à main. Un beau sac.” Elle passa en revue les sacs exposés sur l’étagère derrière la vendeuse. “Vous pouvez en choisir un qui aille avec les ensembles ?”

Vue son expression, la vendeuse la prenait certainement pour une folle. Elle se retourna, examina chacun des sacs et s'empara d'une besace XXL en cuir noir avec une boucle dorГ©e.

“Parfait,” déclara Lacey, trépignant telle une athlète avant le signal du départ. “Emballez-le.”

La vendeuse obГ©it et rangea soigneusement les ensembles dans la besace.

“Ce sera–”

“DES CHAUSSURES !” s'écria Lacey. Quelle tête de linotte. Ses chaussures merdiques l’avaient poussées dans ce magasin. “Il me faut des chaussures !”

La vendeuse ne se dГ©partit pas de son flegme. Elle croyait peut-ГЄtre Г  une plaisanterie, Lacey allait partir sans payer.

“Toutes nos chaussures sont là,” répondit-elle froidement en les lui montrant d'un geste.

Lacey contempla les magnifiques stilettos qu’elle portait d'habitude à New York, avoir les chevilles douloureuses faisait partie du métier. Mais les choses avaient changé, adieu talons inconfortables.

Elle repГ©ra des derbies noires vernies qui s'accorderaient Г  merveille avec ses nouveaux ensembles.

“Celles-ci,” en les déposant sur le comptoir, devant la vendeuse.

Elle ne demanda pas Г  Lacey si elle voulait les essayer et les emballa, elle faillit s'Г©touffer devant le montant Г  quatre chiffres affichГ© sur la caisse enregistreuse.

Lacey sortit sa carte de crédit, régla, enfila ses nouvelles chaussures, remercia la vendeuse et se précipita vers le local voisin. L’espoir renaissait, elle allait récupérer les clés auprès de Stephen, elle serait bientôt voisine de la vendeuse impassible chez qui elle venait d’acheter sa nouvelle identité.

Stephen eut du mal Г  la reconnaГ®tre lorsqu'elle entra.

“Tu m’avais pas dit qu’elle était légèrement farfelue ?” demanda du bout des lèvres une femme à ses côtés, il devait s'agir de Martha, son épouse. Pour la discrétion, elle repassera. Lacey avait tout entendu.

Lacey était fière de sa tenue. “Ta-da ! Je vous avais bien dit que j'avais raison,” le taquina-t-elle.

Martha regarda Stephen. “Pourquoi t'inquiéter, imbécile ? C'est le ciel qui nous l'envoie ! Fais-lui signer le bail tout de suite !”

Lacey n'en croyait pas ses yeux. Quelle chance. Un vrai cadeau du ciel.

Stephen s'empressa de sortir des documents de son sac qu'il posa devant elle sur le comptoir. Contrairement aux documents de divorce qu’elle avait contemplé, incrédule et désespérée, ces documents-là étaient synonymes de promesse, de chance. Elle prit son stylo, celui-là même avec lequel elle avait signé les documents de divorce et apposa sa signature en bas.

Lacey Doyle. Chef d'entreprise.

Sa nouvelle vie pouvait enfin commencer.




CHAPITRE SIX


Lacey balayait le plancher de la boutique dont elle Г©tait l'heureuse locataire, le cЕ“ur en liesse.

C'Г©tait la premiГЁre fois qu'elle ressentait cette impression. Sa vie, son destin, son avenir lui appartenaient. Elle cogitait Г  cent Г  l'heure, faisait des projets. Elle transformerait l'arriГЁre-boutique en salle des ventes, en l'honneur de son pГЁre. Elle avait assistГ© Г  des tonnes de ventes aux enchГЁres quand elle travaillait pour Saskia (plutГґt cГґtГ© acheteur que vendeur) mais possГ©dait les connaissances requises. Elle tenait un magasin pour la premiГЁre fois. Tout effort mГ©rite rГ©compense.

Une silhouette passa devant la devanture, s’arrêta net et scruta la vitrine. Elle s'arrêta de balayer, espérant qu'il s'agisse de Tom, la silhouette immobile était celle d'une femme mais pas n'importe laquelle, Lacey la reconnut illico. Maigre, une robe noire, les mêmes cheveux longs noirs et ondulés qu'elle. Son double maléfique – la vendeuse du magasin d'à côté.

Elle fit irruption dans la boutique, la porte d'entrée n’était pas fermée.

“Que faites-vous ici ?”

Lacey posa le balai contre le comptoir et lui tendit la main. “Lacey Doyle. Votre nouvelle voisine.”

La femme regarda la main de Lacey d'un air dégoûté, comme si elle était couverte de microbes. “Pardon ?”

“Je suis votre nouvelle voisine,” répéta Lacey avec assurance. “Je viens de louer ce local.”

La vendeuse avait pris une claque. “Mais ...” marmonna-t-elle.

“Vous êtes la propriétaire ou une simple employée ?” demanda Lacey en essayant de la faire atterrir.

La femme hocha la tête, comme hypnotisée. “La propriétaire. Taryn. Taryn Maguire.” Elle arbora un sourire amical une fois remise de sa surprise. “Ravie d'avoir une nouvelle voisine. C’est génial ! Le manque de lumière a du bon, ça cachera l'aspect vétuste.”

Lacey se retint de ne pas contre-attaquer, fruit de longues annГ©es d'expГ©rience grГўce Г  sa mГЁre, habituГ©e Г  souffler le chaud et le froid.

Taryn éclata de rire, comme pour faire oublier sa répartie malheureuse. “Comment avez-vous fait pour le louer ? Je croyais que Stephen comptait vendre.”

Lacey haussa les épaules. “C'était son intention mais ses plans ont changé.”

Taryn Г©tait crispГ©e. Elle scrutait le magasin, son nez retroussГ© semblait s'allonger, son dГ©goГ»t allait crescendo.

“Et vous allez vendre des antiquités ?”

“C'est exact. Mon père était antiquaire, c'est ma façon de lui rendre hommage.”

“Une antiquaire,” répéta Taryn. De toute évidence, la présence d'une boutique d’antiquités près de sa boutique huppée lui déplaisait. Elle regardait Lacey de ses yeux perçants. “Vous avez le droit ? Vous arrivez et hop, vous ouvrez un magasin ?

“J'ai un visa,” rétorqua froidement Lacey.

“C'est ... intéressant,” répondit Taryn en choisissant ses mots avec soin. “Lorsqu'un étranger souhaite travailler ici, l'employeur doit prouver qu'un britannique ne brigue pas déjà le poste. Je constate que ces règles ne s'appliquent pas à la création d'entreprise …” Son ton méprisant était flagrant. “Stephen a loué à une étrangère ? Alors que le magasin est vide depuis quoi, deux jours ?” Sa pseudo-politesse fondait comme neige au soleil.

Lacey prГ©fГ©ra ne pas rГ©pondre.

“Un vrai coup de chance. Stephen était dans le magasin tandis que je passais dans le coin. Il était anéanti par le départ précipité des anciens locataires, ils lui ont laissé des impayés, les astres me sont favorables. On s'aide mutuellement. C'est le destin.”

Taryn Г©tait Г©carlate.

“LE DESTIN ?” hurla-t-elle, son agressivité latente faisait son apparition au grand jour. “LE DESTIN ? Ça fait des mois que je négocie avec Stephen. Il avait promis de me le vendre s'il se libérait ! J’étais censée agrandir mon local en achetant le sien !”

Lacey haussa les épaules. “Je ne l’ai pas acheté, je le loue. Il vous le vendra le moment venu. Ce moment n'est encore venu, voilà tout.”

“J'y crois pas !” se lamentait Taryn. “Vous débarquez ici et lui forcez la main pour signer le bail ? Qu'il signe en quelques jours ? Vous l’avez menacé ? Fait du vaudou ?”

Lacey ne céda pas. “Demandez-lui plutôt pourquoi il préfère me le louer que vous le vendre,” tout en songeant Peut-être que je le mérite ?

“Vous m’avez volé ma boutique,” conclut Taryn.

Elle sortit du magasin en claquant la porte, ses longs cheveux noirs flottant au vent tandis qu’elle s’éloignait.

La nouvelle vie de Lacey ne promettait pas d'être aussi idyllique qu’elle l’imaginait. Elle avait vu juste, Taryn était son double maléfique. Elle savait comment y remédier.

Lacey ferma boutique et se dirigea d'un pas rГ©solu vers le salon de coiffure. Une rousse Г©tait assise, feuilletant nonchalamment un magazine entre deux clients.

“Puis-je vous aider ?” demanda-t-elle en levant les yeux vers Lacey.

“Oui,” répondit Lacey plus résolue que jamais. “On coupe !”

Elle n’avait jamais eu le courage de réaliser son rêve. David aimait les cheveux longs. Il était hors de question qu'elle ressemble à sa jumelle diabolique une seconde de plus. Le moment de tout couper était venu. Se débarrasser de l’ancienne Lacey. Une nouvelle vie, avec ses propres règles, débutait.

“Vous êtes sûre ?” demanda la coiffeuse. “Vous avez l'air décidée mais je préfère demander. Je ne voudrais pas que vous le regrettiez.”

“Sûre certaine. J'aurais réalisé trois de mes rêves en l'espace de quelques jours.”

La femme s'empara des ciseaux en souriant. “Ça marche. En avant pour la coupe !”




CHAPITRE SEPT


“Et voilà,” Ivan s’extirpa du placard sous l'évier de la cuisine. “Ce tuyau ne devrait plus causer de problèmes.”

Il se redressa en tirant sur son tee-shirt gris froissГ© dГ©couvrant son ventre blanc. Lacey fit comme si de rien n'Г©tait.

“Merci de l'avoir réparé si rapidement,” dit Lacey, reconnaissante à son propriétaire de régler les nombreux problèmes domestiques en un temps record. Elle se sentait coupable de l'obliger à monter si souvent à Crag Cottage ; la falaise était abrupte et Ivan n’était plus tout jeune.

“Je vous sers quelque-chose ? Un thé ? Une bière ?”

Elle connaissait déjà la réponse. Ivan était timide et ne voulait pas s’imposer mais elle proposait toujours.

Il eut un petit rire. “Non merci, Lacey, j'ai à faire ce soir. Pas de repos pour les braves, comme dit le proverbe.”

“À qui le dites-vous. Je suis arrivée au magasin à cinq heures et rentrée à vingt heures.”

Ivan la regardait d'un air perplexe. “Le magasin ?”

“ Oh !” s'exclama Lacey, “Je croyais vous en avoir parlé quand vous débouchiez les gouttières. Je vais ouvrir ma boutique d'antiquités. Je loue le local de Stephen et Martha, l'ancienne jardinerie.”

Ivan était stupéfait. “Je vous croyais en vacances !”

“Effectivement mais j'ai décidé de rester. Pas ici, bien sûr. Je trouverai un autre logement dès que vous voudrez le récupérer.”

“Non, je suis hyper content,” déclara Ivan, aux anges. “Si vous êtes heureuse ici, je suis comblé. Ça ne vous dérange pas trop de me voir chez vous pour réparer ?”

“Au contraire,” répondit Lacey en souriant. “Je me sentirais seule, autrement.”

C’était ce qui lui manquait le plus depuis qu'elle avait quitté New York ; non pas la ville, son l’appartement ou les rues familières, mais ses proches.

“Je prendrai un chien,” ajouta-t-elle en riant.

“Vous n’avez pas encore rencontré votre voisine ? Une dame adorable, une excentrique. Son border collie rassemble les moutons.”

“J'ai vu les moutons. Ils viennent dans le jardin.”

“Ah. Il doit y avoir un trou dans la clôture. Je m'en occuperai. Elle est toujours partante pour une thé, ou une bière,” ajouta-t-il en la gratifiant d'un clin d'œil qui lui rappela son père.

“Ah bon ? Elle ne verra pas d'inconvénient à ce qu’une Américaine frappe à sa porte ?”

“Gina ? Absolument pas. Elle va adorer ! Passez la voir. Je vous promets que vous ne le regretterez pas.”

Lacey suivit le conseil d'Ivan et se dirigea vers la maison voisine. “Voisine” mon œil. Sa maison était située à cinq bonnes minutes de marche sur la falaise.

Sa maison de plain-pied Г©tait la copie conforme de la sienne. Elle frappa Г  la porte, un remue-mГ©nage lui parvint, un chien aboyait, une voix fГ©minine lui ordonnait de se calmer. La porte s'entrebГўilla de quelques centimГЁtres sur une femme aux cheveux longs gris et bouclГ©s, la soixantaine, au visage Г©trangement enfantin. Elle portait un cardigan en laine saumon et une jupe longue Г  fleurs, un border collie Г  la truffe noir et blanc essayait de se frayer un passage.

“Boudicca, ôte-toi du milieu.”

“Boudicca ?” demanda Lacey. “C'est pas commun pour un chien.”

“En l'honneur de cette reine guerrière païenne qui s'est révoltée contre les Romains et réduit Londres en cendres. Que puis-je faire pour vous ma chère ?”

La femme plut instantanément à Lacey. “Je m’appelle Lacey. J'habite à côté, je tenais à me présenter puisque je vais habiter ici définitivement.”

“À côté ? A Crag Cottage ?”

“Exact.”

Elle rayonnait, ouvrit grand la porte et les bras. “Oh !” elle exultait et serra Lacey dans ses bras. Boudicca, folle de joie, sautait et aboyait. “Georgina Vickers. Georgie pour la famille, Gina pour les intimes.”

“Et pour les voisins ?” la taquina Lacey, se libérant enfin de son étreinte.

“Gina,” lança-t-elle en prenant la main de Lacey. “Entrez ! Entrez ! Je vais mettre la bouilloire sur le feu.”

Lacey la suivit à l'intérieur sans se douter qu'elle entendrait très souvent désormais son fameux “Je vais mettre la bouilloire sur le feu.”

“C'est incroyable Boo ?” la femme s'adressait à son chien en fonçant dans un couloir bas de plafond. “Une voisine, enfin !”

Lacey les suivit dans la cuisine moitiГ© plus petite la sienne, des tomettes rouge foncГ©, un immense Г®lot central en occupait la majeure partie. Une grande fenГЄtre au-dessus de l'Г©vier donnait sur une pelouse remplie de fleurs, avec les vagues en toile de fond.

“Vous jardinez ?” demanda Lacey.

“Oui, c’est ma fierté et mon plaisir. Je cultive toutes sortes de fleurs et plantes médicinales, je suis un peu sorcière.” Sa description la fit rire. “Vous voulez goûter ?” elle indiqua une rangée de bocaux en verre jaune entassés sur une étagère en bois bancale. “Des remèdes contre la migraine, les crampes, les rages de dents, les rhumatismes ...”

“ Euh ... je prendrai un thé ” répondit Lacey.

“Et voilà !” s'exclama notre excentrique, en sortant deux tasses d'un placard. “Lequel ? English Breakfast ? Assam ? Earl Grey ? Lady Grey ?”

Lacey ignorait qu'il en existait tant de variétés. Qu'avait-elle bu avec Tom lors de leur “rendez-vous” ? Un pur moment de délice. Ce thé ravivait son souvenir.

“Le traditionnel ?” demanda Lacey, confuse. “Celui qu'on boit avec des scones ?”

“English Breakfast,” confirma Gina. Elle prit une boîte en fer-blanc dans le placard, en extirpa deux sachets qu'elle plongea dans des tasses dépareillées, remplit la bouilloire qu'elle mit à chauffer, se retourna et dévisagea Lacey avec une indéniable curiosité.

“Alors dites-moi. C'est comment, Wilfordshire ?”

“J'y suis venue en vacances quand j'étais enfant. J’avais adoré, je voulais voir si la magie opérerait toujours. ”

“Et ?”

Lacey pensa à Tom. Au magasin. À Crag Cottage. À tous les souvenirs avec son père, bien vivants malgré le voile d'oubli qui les avait recouverts depuis vingt ans. Elle esquissa un sourire. “Toujours aussi magique.”

“Comment avez-vous atterri à Crag Cottage ?” demanda Gina.

Lacey était sur le point de lui expliquer sa rencontre fortuite avec Ivan au Coach House mais sa voix se perdit dans le sifflement de la bouilloire. Gina leva un doigt, l’air de dire un instant et s'occupa de sa bouilloire, Boudicca zigzagant entre ses jambes.

Gina versa l'eau bouillante dans les tasses. “Du lait ?” demanda-t-elle en la regardant par-dessus son épaule à travers ses lunettes embuées.

Lacey se souvint que Tom lui avait apporté un petit pot à lait. “S'il vous plaît.”

“Du sucre ?”

“Si ça se boit ainsi.”

Gina haussa les épaules. “Ça dépend. Moi j'en prends, à moins que vous ne vouliez pas de sucre ?”

Lacey rigolait. “Si vous prenez du sucre, moi aussi.”

“D’ac,” dit Gina. “Un morceau ou deux ?”

Lacey écarquilla les yeux. “J’ignorais que la préparation du thé était si compliquée !”

Gina gloussa comme une sorcière. “C’est tout un art, ma chère ! Un morceau fait très distingué. Deux, beaucoup moins. Trois ? 'C'est le thé du maçon.” Elle fit une grimace, et gloussa de plus belle.

“Le thé du maçon ? Je m'en souviendrai.”

Gina acheva la prГ©paration du thГ©, dГ©posa les sachets sur la pile de sachets usagers entassГ©s dans une soucoupe prГЁs de la bouilloire et apporta les tasses sur la table bancale. Elle s'installa, mit un morceau de sucre dans le thГ© de Lacey, mГ©langea et poussa la tasse vers son invitГ©e.

Lacey l'accepta avec joie et but une gorgГ©e. Le goГ»t Г©tait semblable Г  celui de Tom, bien que plus prononcГ©, la saveur Г©tait assez proche pour lui procurer un frisson.

Boudicca, installГ©e aux pieds de Gina, remuait joyeusement la queue.

“Vous me racontiez votre arrivée à Wilfordshire,” reprit Gina, reprenant la discussion là où elle en était restée avant l’interruption intempestive de la bouilloire.

“Divorce,” lâcha Lacey. Autant crever l’abcès.

“Oh, ma pauvre,” dit Gina en prenant tendrement sa main. “Moi aussi. Une époque affreuse. Ça remonte aux années quatre-vingt-dix, j'ai eu largement le temps de m’en remettre.”




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